SOMMAIRE
1° La brèche, nouvelles de Jean Muno
2° Un texte personnel du 22/8/71
3° Henri Cornelus
4° L’amour responsable de Edmond
Vandercammen
1-
LA BRECHE
Nouvelles par Jean Muno
Editions Saint-Germain-des-Prés.
Onze nouvelles étonnantes,
débordantes d’humour, discrètement satiriques, ciselées dans une langue
relativement sobre où l’art de la description le dispute au sens du raccourci
frappant, voici ce que nous offre Jean Muno dans « La Brèche ».
Quelques personnages très typés
reviennent au fil des tableaux, là où se tissent les habitudes rassurantes, où
s’accomplissent les menus gestes de la petite vie inoffensive.
Ni tout à fait les mêmes, ni
vraiment différents, ces acteurs du quotidien nous semblent souvent bien
familiers. Nous rencontrons Edgard dit Djâr, bon
facteur dans « Le papillon » ou représentant la sécurité ferroviaire
dans « La musique intime », son épouse Irène, Reine au corsage
baleiné, et le fils Gamin. Un couple bourgeois fait pendant à cette famille
ouvrière, les époux Roquette, auréolés par l’Habitude, prudents pour eux-mêmes,
synchronisés, parfaitement programmés. Deux solitaires parachèvent le
décor : Jeanne, vieille fille « modeste, sérieuse, limpide »,
dont l’existence fut « une recopie d’une recopie d’une recopie...à
l’infini » et Stéphane, tantôt vieux garçon bien élevé et raisonneur,
tantôt bon père d’un « gros vitaminé, progéniture du confort et de la
pédiatrie », ou encore veuf de la femme au grelot.
L’existence se déroulerait dans une
surprenante banalité si, tout à coup, nous n’étions sollicités par l’irruption
de l’insolite : le mystère prend alors la forme d’un papillon avalé dans
les dunes ; c’est aussi une curieuse panne de télévision, ou bien la
musique intérieure qui visite Djâr. Les êtres décontenancés essaient de se raccrocher un
moment mais ils seront sans défense car la faille, dans ce carrousel du
quotidien, dans ce « paisible western », c’est l’Autre, cet « élément étranger,
infiniment subtil », c’est Elle « avec son long manteau de drap
noir » et son aspect inhumain.
Et la vie se trouve alors réduite,
comme la route, à cette « passerelle suspendue au-dessus d’un invisible
abîme » avec, soudain, « une brèche, un trou dans le décor, une porte
béante sur rien ».
Lucienne Hoyaux, publication dans l’Ethnie
Française Juillet-Août 1973
2-Texte que j’ai
écrit le 22/8/1971
Peut-être
le besoin de rejonction de l’être temporel, inscrit dans un court instant et
son être Soi qui s’étale dans une intemporalité d’où la nécessité de
« rédimer » le passé. Alles es wär.
Au fait,
peut-être y a-t-il nécessité, si l’individu veut assumer totalement sa fonction
d’homme, d’accéder à cet espace supérieur où il prend conscience de sa double
nature : temporalité et intemporalité. Aussi, tout ce qui est « ce
fut » doit devenir en lui-même un élément primordial de sa volonté.
Il n’y a
pas en fait de « es wär » dans la mesure où il n’y a pas de mort. Si
l’homme admet qu’il exist un « ce fut », il crée lui-même la mort, il
est lui-même le premier élément de l’anéantissement, il s’éloigne de la
vie ; aussi, dès l’instant qu’il a compris que le Vouloir était
« eine Schaffende », alors il entre dans une nouvelle dimension, dans
la grande dimension cosmique. En fait, il se libère de ses frontières
semi-artificielles qui lui font percevoir son être comme limité et mortel et il
accède à la grande conscience de l’espace. Ainsi le « ce fut » au
sens passif doit être aboli en lui. En fait, il fait passer le passif
totalement révolu au sens actif et installe le révolu dans le Devenir. C’est, à
mon sens, la notion de temps rédimé. En somme, il s’agit d’éprouver
cosmiquement comme le dit Nietzsche, de surmonter son individualité
contraignante qui est en soi un masque, pour rejoindre le Temps cosmique où
nous nous inscrivons dans un jaillissement continu, dans une création spontanée
et sans cesse renouvelée. Pas d’hier, aujourd’hui ou demain ! L’instant
pur, l’instant cosmique non mesurable. En somme, notre tentative est d’accéder
à l’Homme dans la mesure où, nous dépassant sans cesse, laissant tomber un à un
les pièges tissés autour de nous, nous rejoignons la pure conscience au-delà de
la sensation mensongère d’un Ego pour retrouver « le Soi ».
Cette tentative est pur
amour et pur vouloir.
Un texte que j’ai écrit jadis dans le
cadre de
DECOUVRIR OU REDECOUVRIR LES ECRIVAINS
BELGES CONTEMPORAINS.
3- HENRI CORNELUS
Henri Cornelus est un de nos écrivains belges
relativement peu connu et cependant ses romans, ses nouvelles et sa poésie sont
très attachants et d’un abord relativement aisé pour les adultes et les
adolescents.
Qui
est Henri Cornélus ?
Henri Cornélus est né à Vilvorde en 1913.
Elève à l’Athénée Royal de Bruxelles, puis étudiant à l’Université Libre de
Bruxelles, il fit des études de philologie romane. Nommé d’abord professeur à
l’Athénée Royal de Berchem-Anvers, il connut ensuite neuf mois de
mobilisation(deuxième guerre mondiale !) et fit partie, dès sa création,
du mouvement de résistance des professeurs.
En 1945, il fut nommé à l’Athénée de
Bruxelles pour peu de temps puisque, en 1946, on le désigna inspecteur de
l’enseignement au Congo Belge. Cette nouvelle fonction ne lui convint pas du
tout. Son esprit d’indépendance l’empêcha de poursuivre une carrière coloniale
qui aurait pu être brillante. Aussi, dix mois plus tard, reprit-il son poste à
Bruxelles. Cette brève expérience dans notre ancienne colonie est à l’origine
d’un premier roman extrêmement attachant que Cornélus publia en 1954 : K U F A.
Dès 1958 Cornélus joint à ses activités
de professeur de français celles de professeur d’espagnol et de maître de stage
à l’Université Libre de Bruxelles.
Grand voyageur, Cornélus visita de
nombreux pays. De plus, son attirance toute particulière pour la mer et les
marins - symboles pour lui de la vraie
liberté – le poussa à participer activement à de nombreuses compagnes de pêche.
Son deuxième roman L’HOMME DE PROUE, publié en 1960 et prix
littéraire de la commune d’Uccle, nous fait vivre intensément avec les hommes
de l’immensité.
Un an plus tard, Cornélus utilisa cette
fois ses souvenirs de la seconde guerre mondiale pour écrire et publier un
troisième roman LA SAISON DU FEU. Plus tard, ce sont les douloureux
événements d’Algérie et leurs conséquences tragiques sur la mentalité des
Français qui fournirent à l’auteur matière à réflexion et à révolte lorsqu’il
rédigea son dernier roman en date BELZEBUTH publié en 1974
Bien sûr, Henri Cornélus n’a pas
seulement publié les quatre romans dont il est question ci-dessus. Il a écrit
de nombreux recueils de poèmes, des
contes et des romans pour enfants, des nouvelles tout à fait admirables dans BAKONJI, les CHEFS et LES
HIDALGOS. Il a également traduit des romans allemands, néerlandais et
espagnols.
Henri Cornélus vit toujours à Bruxelles.
J’ai eu la chance de la rencontrer à plusieurs reprises. Homme passionné et
passionnant, très intransigeant mais aussi très tolérant, très ouvert aux
autres, à la jeunesse, il m’avait proposé de venir, par amitié, à l’Athénée
Royal de Tournai pour parler notamment de poésie. C’était en avril dernier.
Hélas, personne n’a paru intéressé par
ce projet à cette époque de l’année où l’on pense à
« bloquer »parfois, etc., etc. Consacrer quelques heures un
après-midi du mercredi était une tâche insurmontable eu égard à ces
contingences. Dommage ! Nous n’entendrons sans doute plus Henri Cornélus
dans notre école car, à présent, il est en train de lutter avec l’énergie qui
lui reste contre « la terrible maladie »combat acharné dont il ne
peut probablement plus sortir vainqueur.
Ceci dit, je pense que certains d’entre
vous découvriront comme moi, comme ma deuxième fille et ses compagnes de classe
l’an dernier en rhéto, les œuvres si poignantes de ce
romancier. Personnellement, j’ai d’abord lu le dernier roman BELZEBUTH. Quelle
œuvre attachante ! Puis j’ai découvert KUFA = crève, ce mot que certains
colons hurlaient volontiers aux nègres ! C’est tout à fait bouleversant et
criant de vérité. Les deux recueils de nouvelles que j’ai savourés cet été
m’ont aussi enchantée.
L’amour est un des thèmes essentiels de
l’œuvre de Cornélus, cet amour qui représente pour lui « l’appel intense
de la chair qui de toutes les races en fait une seule qu’habite une même
volonté ».
Sans doute Cornélus prend-il un certain
plaisir à unir par la chair notamment ceux que la société éloigne
idéologiquement. Plaisir et provocation, besoin impérieux de justice et de
tolérance en butte à toutes les idées préconçues et les conformismes
confortables.
C’est ainsi que Denise, l’institutrice
d’un petit village de Haute-Provence, éprouve un amour illimité pour Achmed, ce nouveau venu arabe surnommé par tous
« Belzebuth ». De même le nouvel administrateur-adjoint d’un petit
village congolais respecte les « noirs » et s’éprend sincèrement
d’une indigène.
Cornélus, c’est avant tout l’homme qui
respecte l’homme et sa profonde liberté, quelle que soit sa race, sa religion
ou encore ses opinions. Et il ressent beaucoup de mépris et même parfois de la
haine pour ceux qui n’éprouvent pas ce respect fondamental pour l’humain. C’est
ce sentiment très net que nous percevons dans chacune de ses œuvres.
Sans aucun doute, Cornélus est un homme
sincère, ignorant les compromissions, les accommodements faciles – voir
factices – mais cette profonde amitié pour ce que l’humain a de plus
intéressant, de plus important à préserver doit – cela est une opinion très
personnelle – nous porter à nous intéresser à cette œuvre originale, d’une
excellente qualité esthétique et qui ne fait que proclamer durement parfois la
véritable portée de l’humanisme
Lucienne HOYAUX
N B
Nous avons appris depuis que l’écrivain était décédé (fin octobre)
La mort de l’écrivain date du
26/10/1983. J’ai réalisé aussi qu’il a écrit un recueil « traverser
l’absence » en 1980, je lui avais envoyé le mien « traverser
l’interdit » quelques années auparavant, étonnante coïncidence, j’ai
étudié son recueil pour une revue.
4-
L’AMOUR RESPONSABLE
Poèmes
par Edmond Vandercammen André De Rache, éditeur.
S’ouvre la première page et nous voici plongés dans
le dédale offert à l’âme qui se sait à la fois universelle et singulière dans
sa recherche presque paisible, dans sa détermination délicatement teintée de
tendresse automnal, dans son exigence amoureuse, dans son affirmation
même :
Amour
que je reconstitue
C’est
l’heure de parler à haute voix.
Tout cependant fut déjà dit. Mais si le dicible est
la chair même du monde, il appartient au poète d’être l’écho toujours neuf,
toujours accueillant de cette voix reconnue au hasard des itinéraires, comme
chez Eluard qui « n’a pas abdiqué » et « a réinventé la
Vie ». Ce lent cheminement attentif d’Edmond Vandercammen dans le mutisme
des routes conduit le poète à se poser cette question brûlante :
De
quelle audace suis-je l’héritier ?
L’insomnie creuse alors sa place au cœur de l’être
tandis que l’acquiescement à l’essentiel lui fait écrire :
J’obéirai
à ma dérive.
Le voici, en effet, « au rendez-vous d’être
soi-même ». Le champ est vaste, pénétrant, cruel et calme tout à la fois.
Transporté dans les méandres de la vie acceptée, le poète captera bientôt
« cette plainte sans écho », ce « témoignage de néant »,
mais aussi cet « hommage au grand possible du regard ».
Que reste-t-il au soir du cheminement ?
Peut-être la trace indélébile de « tous les printemps du monde sur un
tapis de sable » et cette clarté que l’homme prolonge
Lorsque
la nuit déborde
Sur
le rivage qu’il invente
Lucienne Hoyaux
Ethnie
Française Juillet Août 1973